C’est en Aout 2017, grâce à un très beau texte partagé par Anne Tillie que j’ai fait la rencontre de cette vertu qu’est l’authenticité. 3 ans plus tard, elle est devenue la valeur « chapeau » des 5 valeurs que nous avions retenues à la création d’OFA.
Mais qu’est-ce que l’authenticité en entreprise ?
Pour répondre à cette question, peut-être pourrions-nous écouter l’illustre Simon Sinek et son Start With Why ? Commençons par le pourquoi et ne nous trompons pas entre le comment (les moyens) et le pourquoi (la mission). Faire preuve d’authenticité commencerait donc par définir clairement son pourquoi et d’assumer ce choix.
Ainsi la question de la mission devient clef. Parce que l’authenticité en entreprise, comme dans toutes situations, c’est simplement (!) être soi-même et l’exprimer clairement.
Une entreprise dont le seul guide est la création de valeur pour ses actionnaires, peut-elle être authentique ? Oui, si elle assume cette finalité avec sincérité, dans son discours comme dans ses actions. Cette entreprise nous la connaissons bien, c’est celle de l’alignement de la chaîne hiérarchique sur l’intérêt de l’actionnaire. Celle des stock-options, des rémunérations variables, … celle incarnée par des personnages que nous avons admirés comme Carlos Ghosn. Cette entreprise se définit “à l'ancienne", pourrait-on dire, principalement comme une personne morale propriété de ses actionnaires et ayant pour objectif leur enrichissement. Elle est en compétition avec ses concurrents pour attirer les meilleurs talents au meilleur coût et les fidéliser par des « packages » attractifs. Elle se bat pour contractualiser avec le plus grand nombre de clients, au prix le plus élevé possible. La recherche de la performance et la maximisation des profits dans le respect de la loi guident ses choix. Pour y parvenir, elle a appris à naviguer dans un monde de rapports de force où les ressources se paient cash et sont considérées comme infinies. La croissance de la valeur est son crédo et l’engagement des salariés le moyen d’y parvenir.
Mais, après tout, si la raison d’être ou la mission de cette entreprise semblent appartenir au monde d’hier, à l’heure où justement peu importait l’intérêt social ou moral d’une entreprise, elle n’est pas moins authentique que la Fondation Abbé Pierre et son charismatique fondateur. A la condition qu’elle ne se mente pas à elle-même, ni à ses parties prenantes. Elle est authentique quand elle assume clairement et avec sincérité la mission qu’elle s’est assignée.
Cette entreprise, nous la connaissons bien. Ceux qui l’ont vécue, l’ont aimée, et s’y sont épanouis ont fait preuve en son sein d’un engagement hors normes. Dans une forme de déni, peut-être, ou dans une croyance en des discours qui n’étaient pas clairement sincères. Peu importe la raison. Si l’on admet que l’authenticité va toujours avec la singularité, alors oui, cette entreprise pouvait être d’une manière singulière... authentique.
Mais si l’authenticité est un engagement aussi simple, aussi carré, pourquoi sommes-nous tant à ne plus nous reconnaître dans ces grandes entreprises, alors même qu’aujourd’hui elles sont de plus en plus nombreuses à afficher clairement des raisons d’être et des missions sociétales ? Pourquoi de plus en plus de cadres bien payés et reconnus sont-ils atteints de brown-out ? Pourquoi ce type d’entreprise attire-t-elle de moins en moins les jeunes diplômés des meilleures écoles ?
Peut-être notre appât du gain est-il moins aiguisé, peut-être sommes-nous en train de comprendre, dans nos sociétés occidentales dont longtemps seules l’abondance et l’avoir ont été la règle, que la “croissance pour la croissance” à l’infini et l’utopie du Pays de Cocagne sont finalement des leurres. Des leurres qui nous empêchent - ou nous préservent- d’éprouver le bouleversement de nos croyances ou la réalité des enjeux climatiques et écologiques.
Et l’authenticité, dans tout cela, direz-vous ? Face à ce changement de paradigme, l’exigence en est aujourd’hui plus forte. Comme centrale. Parce que le fondement de l’authenticité est, je crois, non seulement la conscience de la singularité - de soi-même, d’une situation ou d’une époque-, mais aussi le fait d’embrasser cette conscience avec sincérité. Dans une forme de vérité profonde.
C’est cela sans doute que les plus jeunes recherchent aujourd’hui dans le travail, dans l’entreprise, mais aussi en politique et dans les affaires publiques. Une nouvelle utopie que seraient l’humanisme ou l’engagement écologique pour faire face à ce changement de paradigme ?
« Pure utopie me direz-vous ? Mais une carte du monde où l'Utopie ne figure pas ne mérite même pas un coup d'œil, car elle laisse de côté le seul pays où l'humanité débarque toujours. Et quand elle y débarque, elle sonde l'horizon et, découvrant un pays meilleur, elle met les voiles à nouveau. Le progrès, c'est la réalisation des utopies. » Oscar Wilde
L’authenticité, c’est assumer la complexité.
Être authentiquement humaniste et authentiquement écologique c’est accepter de rompre avec nos dogmes pour en adopter d’autres. Mais pourquoi pas, si c’est ce qui exprime ma vérité profonde et fait autorité pour moi ? Être dans une relation de sincérité avec ce monde qui change dans ses fondements, c’est aussi pour beaucoup accepter l’ambivalence, comme chemin du changement. Notre difficulté aujourd’hui est de rompre avec nos croyances et nos valeurs. Pour certains, cette rupture doit être violente et rapide. C’est le choix et le mode d’action des « révolutionnaires ». Ils trouvent une motivation profonde dans la rupture et l’opposition. Ils coupent des têtes et parfois retombent dans ce qu’ils ont voulu combattre. Leur posture les empêche d’emporter l’adhésion d’une majorité d’entre nous mais elle permet aux « utopistes réalistes » de poursuivre et d’ouvrir des voies nouvelles. L’utopiste réaliste sait qu’il faut rompre mais il veut convaincre plus que forcer.
Le chemin des utopistes réalistes, si on veut le qualifier avec sincérité, passe par l’ambivalence. Une sensation difficile qui se traduit par les sentiments contradictoires que l’on peut ressentir, quand on est encore dans quelque chose et qu’on a sincèrement choisi de le quitter. Un mélange d’attachement, de nostalgie et de début d’aversion. La croissance, celle du PIB, est l’exemple parfait de l’ambivalence que peut ressentir un entrepreneur humaniste et écologique. D’un côté, il sait, ô combien, que l’argent est un moyen formidable et nécessaire pour pérenniser son entreprise et, de l'autre, il sent que cela ne peut plus être une finalité et qu’il faut passer à autre chose. D’un côté, il connaît l’efficacité des rapports de force et les règles du jeu de la concurrence économique, de l’autre, il sent la nécessité de passer à plus de collaboration et de s’engager sur la coopétition pour résoudre les enjeux écologiques. Il comprend que ce changement demande d’abandonner les rapports de forces pour s’engager sur la voie d’un autre équilibre. Mais il fait face à ses propres ambivalences et incertitudes. Parce qu’être authentique, si c’est son choix, cela commence dans la relation avec soi-même.
Bien sûr, être authentique pour une entreprise suppose de la transparence et de la cohérence. Rien de neuf, alors ! Si, tout. Parce que sur le chemin que nous prenons tous actuellement, dans un contexte radicalement nouveau, être authentique, c’est pour chacun reconnaître ses difficultés et ses ambivalences. Attention pour autant à ne pas nous arranger avec nos propres contradictions ! Attention à ne pas tomber dans le washing ou la divergence flagrante ! Nous avons tous en tête le mensonge de Volkswagen truquant ses calculs d’émission de CO2 tout en affichant sur son site web la transparence comme valeur première. Attention aussi aux jugements hâtifs. Quelle entreprise peut-elle revendiquer une posture parfaite dans un monde si complexe ?
Être authentique, c’est aujourd’hui être à l’aise avec ses doutes et ses fragilités, s’avouer que nous ne savons pas tout et en faire le point de départ de toute vérité. Et cela, c’est nouveau dans le monde économique et politique.
Voilà pourquoi l’authenticité en entreprise n’a pas attendu le 21eme siècle pour exister.
Voilà, aussi, pourquoi elle est devenue une valeur clef et pourquoi la Harvard Business Revue en a fait sa une en avril 2020. Parce que dans un monde qui change de paradigme, ni les certitudes des révolutionnaires, ni le déni des conservateurs ne nous permettent d’avancer ensemble.
Les utopistes réalistes doivent faire preuve d’authenticité, en exprimant leurs ambivalences, leurs incertitudes. Sans que cela leur fasse perdre le cap et les éloigne d’une conviction profonde : l’humain et l’écologie seront les nouvelles finalités des entreprises de demain tandis que la performance financière retrouvera sa place de moyen.
Et si la difficulté nous faisait douter de la vertu de l’authenticité ou de sa réalité en entreprise, alors écoutons une fois de plus Søren Kierkegaard :
« Ce n’est pas le chemin qui est difficile mais le difficile qui est le chemin »
Un texte offert à mon ami Jacques Emmanuel Durand et mis en lumière par Anne Masson.
Merci
Comments